La Nuit rwandaise n°4

Bitin - 10/05/2010
Image:La Nuit rwandaise n°4

13 mai, jour du repentir
50 ans de néo-colonialisme

2010, 50 ans de néo-colonialisme.

La Nuit rwandaise, revue annuelle consacrée à l’implication
française dans le génocide des Tutsi, paraît cette année le
13 mai en mémoire des résistants de Bisesero, victimes
de la barbarie coloniale. Le 13 mai, jour du repentir.

Nous avons eu depuis le documentaire et le livre de Marie-
Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, et c’est tout.
Non, pour faire bonne mesure, on aura aussi droit aux mémoires du
général Aussaresses, déjà témoin de l’enquête de Marie-Monique
Robin, aussi célèbre pour avoir revendiqué l’usage de la torture pendant
la guerre d’Algérie, dans un premier livre Services spéciaux-
Algérie 1955-57
. En 2008, celui-ci en remettait une couche, avec ses
« ultimes révélations au service de la France », intitulées Je n’ai pas tout
dit
, aux éditions du Rocher.
Et c’est page 115, de ce livre d’entretiens avec Jean-Charles
Deniau, que commence le chapitre « Au secours des américains contre
la guérilla »
. Paul Aussaresses y raconte comment, dès 1961, il partait
aux États-Unis pour former l’armée américaine aux doctrines spéciales
de la guerre révolutionnaire.

1961 ? C’est ainsi qu’Aussaresses échappera à la répression
contre l’OAS, de même que le colonel Trinquier, cet autre héros de
la bataille d’Alger, qui sera, lui, envoyé en Afrique, au Congo à peine
indépendant, pour y soutenir la sécession du Katanga, avec Moïse
Tshombé, contre Patrice Lumumba. Évoquant Trinquier dans ses
mémoires, Pierre Messmer, mort sans avoir eu à répondre de ses crimes,
expliquait comment il l’avait chargé de cette mission africaine
pour lui épargner de trop de se compromettre dans l’aventure des partisans
de l’Algérie française. Il semblerait que l’horrible Aussaresses
ait bénéficié du même genre de sollicitude en se voyant envoyé aux
États-Unis au même moment. Les vainqueurs de la bataille d’Alger –
également artisans du coup d’État du 13 mai 1958 grâce auquel le
général de Gaulle était parvenu à prendre le pouvoir [voir La Nuit
rwandaise, n°2]
–, se voyaient ainsi récompensés.

« L’armée américaine ne savait pas trop comment combattre le Viêtcong
 »
, explique Aussaresses. « Ses officiers ignoraient tout des aspects
psychologiques de la guerre subversive. »
John Kennedy, le charismatique
président, célèbre pour sa jolie épouse et ses aventures sulfureuses
avec Marylin Monroe, aurait assez vite saisi de quoi il était question,
lui. Faut-il comprendre que le Président bientôt assassiné avait
des prédispositions à comprendre la pensée nazie française du fait de
son éducation au coeur du nazisme américain ? Aussaresses peut ainsi
citer un texte de ce sympathique président, intitulé « La guerre spéciale
 »
 :

« C’est une guerre d’embuscades au lieu de combats, d’infiltration
au lieu d’agression », écrit Kennedy. Le général Arthur Trudeau,
en charge du service « recherches et développement » de l’armée américaine,
pouvait alors écrire : « L’expérience des Français procurerait la
meilleure base pour la doctrine et l’enseignement dans nos écoles de guerre
spéciales. »

Mais, l’armée américaine « traîne les pieds », raconte notre formateur
français :

Elle ne comprend pas que le président Kennedy veuille créer un
corps spécialisé dans la guerre contre les révolutionnaires marxistes.
[…] Vous comprenez pourquoi le président Kennedy et
McNamara [le secrétaire d’État américain de l’époque] se sont tournés
vers nous, les Français, qui avions déjà acquis une grande
expérience en Indochine. […] Nous avions aussi montré ce que
nous savions faire durant la bataille d’Alger. […] Il ne faut pas
oublier que, sur le terrain, cette foutue bataille, nous l’avions
remportée en six mois à peine. […] La guerre révolutionnaire a
ses méthodes et elles ne s’inventent pas. Nous, nous les connaissions
sur le bout des doigts.

Deniau demande à Aussaresses s’il avait fait venir des « stagiaires
français »
avec lui pour former les américains à Fort Bragg. Le tortionnaire
revendiqué tient à en évoquer un. « Il s’appelait Alain
Bizard. » « C’était un officier… étiqueté “Algérie française”. » « Il est
devenu un très bon officier de renseignement. »
Il faudrait mettre des
guillemets à « renseignement », quand on sait que dans le langage
de la « guerre révolutionnaire », le « renseignement » est si souvent
synonyme de torture. « En Amérique, il s’est fait un peu oublier
et il a pu poursuivre sa carrière, qu’il a terminée comme général quatre
étoiles. »
Faut-il souligner qu’il n’y a quasiment pas de grade plus
élevé dans l’armée française ? Il faut croire que cet officier aura rempli
sa mission à la satisfaction de tous.

Mais sur quels champs de bataille, cet officier a-t-il accumulé
tant de mérites ? Sur celui des « guerres révolutionnaires »
d’Amérique, semble-t-il. Et, en quoi de telles « batailles » ont-elle
consisté, à Buenos Aires ou Santiago du Chili – de Guatemala en
Uruguay ? À beaucoup tuer, beaucoup torturer. Beaucoup violer,
non seulement des femmes, mais la légalité, comme la légitimité
démocratique qui préexistait dans ces pays.

Comme un officier américain pouvait l’expliquer alors à
Aussaresses, « Fort Bragg », où étaient basées les « Forces spéciales
américaines »
, est « un endroit stratégique ». Le Français précise :
« c’était le PC des parachutistes de toutes les forces aéroportées et surtout
le centre des forces spéciales »
.
Aussaresses dit avoir « travaillé en duo avec un lieutenant-colonel
américain, Carl Bernard »
, son « partenaire instructeur ». Celui-ci
non plus n’est pas passé par Nuremberg.
Serait-ce parce ce qu’il aurait conscience de ce risque que Carl
Bernard a préféré incarner la critique des méthodes de « guerre révolutionnaire
 »
sur le plateau de télévision français, où Marie-
Monique Robin sera parvenue à le mettre en présence d’Aussaresses,
en 2003 ?

Il a expliqué devant les caméras que, selon lui, l’usage de la torture
est contre-productif sur le long terme et qu’elle se retourne
contre l’armée qui la pratique, rappelle Deniau. Il a expliqué […]
que c’est en vous écoutant à Fort Bragg […] qu’il a monté l’opération
Phénix au Viêt-nam qui a coûté, dit-il, la vie de vingt mille
civils innocents.

Aussaresses dément bien sûr, il n’a « rien à voir avec ce que les
Américains ont fait au Viêt-nam ». « Ils étaient assez grands pour se
débrouiller tous seuls. »
Il avoue bien connaître William Colby, qui a
dirigé la dite opération Phénix, mais il ne sait rien « de ce qu’il a pu
faire au Viêt-nam ou ailleurs »
.

À Fort Bragg, il enseignait les méthodes de la guerre révolutionnaire
à des « stagiaires » américains, mais aussi « alliés ». « Il y en
avait beaucoup qui venaient des pays d’Amérique latine. » « Bolivie,
Argentine, Mexique, Colombie, Brésil, Paraguay, Uruguay, Chili et
Venezuela. »

La liste est précise. Le vieil homme se vante de sa
bonne mémoire, tenant au fait qu’il écrivait « le moins possible » –
pour ne pas laisser de traces de ses crimes.

– Mais, dites-moi, tous ces pays étaient ou allaient devenir des
dictatures militaires, non ? remarque Deniau. Et c’est à partir de
1964, à la fin de votre séjour américain, curieux, non ? […] Les
Américains, à l’époque, faisaient tout pour instaurer et soutenir
des dictatures en Amérique du Sud. […] Et les Français participaient
à cette politique, en toute connaissance de cause ?
demande-t-il.

– Bien entendu qu’ils participaient et ils étaient tout à fait au
courant du contexte, répond Aussaresses. Vous croyez que Pierre
Messmer ignorait quelle était ma mission à Fort Bragg et Fort
Benning ?

Il n’enseignait qu’à des officiers, « capitaines au minimum et un
peu plus haut dans la hiérarchie ». « Tous triés sur le volet. »

Je leur apprenais ce que j’avais vu et fait en Indochine et ce que
j’avais vu et fait en Algérie. […] Toutes les techniques de la
guerre subversive, la lutte contre la guérilla urbaine, le quadrillage
des quartiers, l’infiltration, comme je l’avais fait à
Philippeville et pendant la bataille d’Alger, et puis surtout nos
méthodes pour récolter du renseignement. […] Je leur apprenais
comment l’état-major français avait procédé pour lutter contre la
guérilla urbaine. Je leur décrivais les différentes étapes des opérations
à mener pour éradiquer le terrorisme, d’abord les arrestations
préventives pour neutraliser les meneurs, […] le quadrillage
des quartiers, l’exploitation du renseignement et les arrestations.
À ce propos, nous disions qu’il fallait « vider l’eau dans laquelle les
poissons se déplacent »
. Cette image est claire. C’est la seule
méthode pour venir à bout du terrorisme urbain. Nous ajoutions
même que « s’il fallait vider une piscine avec une petite cuiller pour
attraper les gros poissons, nous étions prêts à le faire »
.

C’est ainsi que ces gens-là considèrent l’humanité : comme de
l’eau, qu’il faudrait vider de la « piscine ». Et s’il faut l’exterminer, « 
à la petite cuiller »
, pour parvenir à ses fins, ils sont « prêts à le faire »…

– Parlons des arrestations. Vous leur appreniez quoi, aux
stagiaires ?

– Je leur apprenais comment procéder intelligemment à des arrestations
ciblées. Elles ne doivent par être effectuées par n’importe
qui et à n’importe quelle heure. Il faut savoir monter une équipe
qui procédera au travail discrètement ou pas, suivant le but
recherché.

– Et après, vous appreniez quoi à vos élèves ?

– Eh bien, les méthodes pour faire parler les gens…

– En clair, cela veut dire la torture ?

– Exactement, oui.

Question : il dort bien, la nuit, monsieur Giscard d’Estaing ?

Deuxième question : et les citoyens qui payent des impôts pour
financer ce genre d’activités, et qui élisent des hommes, de Gaulle,
Giscard, Mitterrand, et j’en passe, pour ordonner ce travail ?

– Les officiers que vous avez formés, ils ont été au pouvoir dans
les dix ans qui ont suivi ?

– Voilà.

– En fait, vous avez formé ceux qui allaient être les piliers des dictatures
d’Amérique latine ?

– Comme vous dites.

– Vous savez, je suppose, ce qu’ils sont devenus ?

– Bien sûr ! Ils ont tous obtenu des commandements importants
dans leurs pays, soit peu après leur passage à Fort Bragg, soit plusieurs
années plus tard. Ils sont devenus commandants des forces
armées ou patrons des services spéciaux, ou bien ils se sont retrouvés
dans les missions diplomatiques dans d’autres pays
d’Amérique latine [pour y exporter la guerre révolutionnaire].

496 pages • 15 euros

A partir du 13 mai, dans toutes les bonnes librairies, ou en commande sur le site de Lady Long Solo.

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