La Nuit rwandaise n°4

Bitin - 10/05/2010
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13 mai, jour du repentir
50 ans de néo-colonialisme

2010, 50 ans de néo-colonialisme.

La Nuit rwandaise, revue annuelle consacrée à l’implication
française dans le génocide des Tutsi, paraît cette année le
13 mai en mémoire des résistants de Bisesero, victimes
de la barbarie coloniale. Le 13 mai, jour du repentir.

Parmi ses élèves, il se souvient du colonel Franco, qui deviendra
chef d’état-major sous la dictature d’Hugo Banzer, en Bolivie, de
1971 à 1978. Faut-il préciser que celui-ci était assisté d’un certain
Klaus Barbie ? Il dit avoir revu aussi « le chef des Services spéciaux de
l’armée chilienne »
, qui deviendra chef d’état-major de l’armée sous
Pinochet, dont il dit avoir oublié le nom.

– Le bilan de tout ça, c’est qu’en Amérique latine, dans les années
1970-80, sous les dictatures, il y a eu vingt mille morts, des dizaines
de milliers d’arrestations, de détention sans procès et de gens torturés,
résume Deniau pour demander à Aussaresses ce qu’il en pense.

On ne sait d’où le journaliste tire ses statistiques, « officielles »
selon lui, mais il semble bien qu’elles soient contestables. On compte
plutôt un minimum de 30 000 morts au Chili, et plus encore en
Argentine. Si la mortalité n’a pas été massive en Bolivie, au
Guatemala par contre elle explose pour atteindre les centaines de
milliers. De même au Salvador ou au Pérou, là où les méthodes antisubversives
se sont appliquées non plus dans les villes, mais dans les
campagnes, se confrontant au monde indien, les massacres se sont
multipliés dans des proportions inouïes, dans une logique quasiment
génocidaire, comme au Salvador et surtout au Guatemala.
Plutôt que de donner son appréciation morale, Aussaresses préfère
insister sur la difficulté d’évaluation de ces crimes :

– Je pense que c’est très difficile de savoir tout ça avec précision.
Les opérations contre la subversion étaient menées par des organisations
spécialisées et dans le plus grand secret. Donc, c’est très
difficile de juger ce qui s’est vraiment passé à ce moment là.
Deniau insiste pour savoir « ce qu’il pense » de « tout ça » :

– Je pense aujourd’hui encore que c’était dans mes attributions de
faire ce travail et je l’ai fait. Mais attention ! Toute la hiérarchie
militaire était au courant. Je n’étais pas un mercenaire, mais un
officier supérieur français en mission officielle. Le premier ministre
Michel Debré, le ministre des Armées Pierre Messmer, et
peut-être même le général de Gaulle, savaient ce que je faisais. Je
n’étais pas un électron libre. J’étais en poste à Fort Bragg dans le
cadre de la coopération entre la France et les Etats-Unis
d’Amérique […]. La preuve que je n’ai pas démérité, c’est que, de
retour en France, j’ai été promu au grade de colonel.

Il n’y a vraiment pas de quoi être fier, d’avoir dirigé cette fantastique
école du crime politique, quasiment sans équivalent à travers
les âges. Mais non, Aussaresses plastronne, et n’envisage à aucun
moment que ses responsabilités, en amont de la chaîne de l’horreur
qui s’est abattue sur l’Amérique latine alors, puissent lui être à aucun
moment reprochées. Pas plus qu’à Valéry Giscard d’Estaing,
aujourd’hui toujours vivant, et membre honorable du Conseil constitutionnel,
et même de l’Académie française. Faut-il leur rappeler
qu’aux termes du Droit, les crimes contre l’humanité, dont ils ont à
répondre, sont imprescriptibles ?

Apocalypse now, titrait Francis Ford Coppola, pour son film décrivant
un épisode typique de guerre révolutionnaire, dans son décor
d’origine, l’Indochine du colonel Trinquier. Marlon Brando, incarnant
le guerrier révolutionnaire poussé au bout de sa logique, résumait
ce dont il est question en deux mots : « L’horreur, l’horreur… »

L’horreur : c’est ainsi que se résume l’enquête de Serge Farnel sur le
13 mai 1994. « Aucun témoin ne doit survivre » – Simusiga, dit-on
en kinyarwanda. On aura mis seize ans à comprendre le sens de cette
expression qui pourrait bien être le vrai nom du génocide des Tutsi,
comme la Shoah est devenu celui du génocide des Juifs,
Samudaripen, « le meurtre total », celui des Tziganes.
Et pourquoi donc « aucun témoin » ne devait-il survivre ? De
quoi pouvaient-ils avoir été témoins ? De quel horrible secret ?
C’est en interrogeant ceux qui ont survécu, en écoutant ce
qu’ils nous disent, que l’on finit par comprendre : le secret qu’il fallait
étouffer, c’est la présence constante des militaires français, à toutes
les étapes du génocide.

La première indication d’une présence française, on la recevait
pendant le génocide, par l’entremise de Colette Braeckman rapportant
le témoignage d’un chef de milice de Kigali ayant dénoncé
nominalement le soldat français, « Etienne », Pascal Estreveda, pour
avoir été auteur de l’attentat contre Juvénal Habyarimana. On
attend toujours, seize ans plus tard, l’alibi de ce monsieur.
On savait aussi que le commandant Grégoire de Saint-Quentin
était au camp de Kanombe à l’heure où « Etienne » aurait appuyé sur
le bouton du génocide, puisqu’il avait pu se rendre aussitôt sur les
décombres de l’avion présidentiel.

En 1998, la Mission d’information parlementaire avait permis
de mettre à jour le fait que le commandant de Saint-Quentin n’était
pas seul, mais que vingt-quatre officiers français étaient bien présents
au Rwanda, officiellement, au titre de la coopération militaire, y
compris au début du génocide. Dont le colonel Jean-Jacques Maurin,
chef d’état-major de fait de l’armée génocidaire.

On en restait néanmoins à l’idée que le soutien français au
génocide, que tout attestait par ailleurs, était affaire de préparation,
entraînement, fournitures de moyens. On parlait ainsi de complicité
de génocide.

C’est en 2002 que Cécile Grenier revenant de six mois d’enquêtes
au Rwanda pouvait, la première, parler de participation directe de
l’armée française au génocide des Tutsi. Cécile avait écouté des
témoins qui avaient survécu.

En 2003, se montait la Commission d’enquête citoyenne, et
Georges Kapler était envoyé au Rwanda pour recueillir à son tour des
témoignages. Il revenait lui aussi en disant qu’on ne pouvait plus parler
de complicité de génocide, mais bien de participation directe.
En 2004, pour les cérémonies du dixième anniversaire, on recevait
le témoignage du général Dallaire de la Minuar, confirmant la
présence de militaires français « tout le long » du génocide. Ce dernier
témoignait d’avoir vu des Français particulièrement à l’état major
et dans la garde présidentielle, là où il avait pu les voir.

En 2007, jaillissait une nouvelle salve de témoignages, dans le
cadre de la Commission Mucyo. On découvrait alors les lancers de
Tutsi sur la forêt de Nyungwe, du haut des hélicoptères français.
Ceux qui survivaient à la chute dans les arbres se retrouvaient sous
les machettes des miliciens, ceux-là même que l’armée française
entraînait dans la forêt pour plus de discrétion.

« Aucun témoin ne devait survivre », mais certains ont survécu
néanmoins.

On avait également des informations sur la capture de militaires
français par le FPR, pendant le génocide, sans parvenir à dater
précisément l’incident – en mai ou en juin ? après le début de l’opération
Turquoise ou avant ?

C’est riche de ces interrogations que Serge Farnel est retourné
au Rwanda l’année dernière. À son tour, il en a trouvé, des témoins.
Ceux-ci lui ont raconté un épisode déjà connu du génocide des
Tusti : le terrible massacre du 13 mai. Les enquêtes menées par African
Rights et Human Rights Watch, avec la FIDH, avaient déjà mis à
jour l’horreur de l’extermination des derniers Tutsi du Rwanda qui
avaient résisté jusqu’à cette date aux assauts des miliciens.

Ces témoins-là, une cinquantaine nous dit Farnel, racontent
comment, le 12 mai, sont arrivés des soldats français, pour repérer les
lieux. Le 13, ils sont revenus, et ont installé leurs batteries de mortiers
sur les hauteurs. Pilonnant méthodiquement le secteur, ils rééditaient
une manoeuvre dont les Tutsi de la colline de Kizenga avaient
déjà fait la cruelle expérience, ainsi que Samuel Musabyimana en a
rendu compte au colloque qui s’est tenu à Genève [voir le texte de son
intervention dans ce numéro]
. Chassés de leurs abris par les artilleurs
français, les résistants de Bisesero qui survivaient aux bombes tombaient
sous la mitraille et les machettes des miliciens, mobilisés en
nombre pour l’occasion. Le 14, l’hallali se poursuivit.
Dès lors, le génocide des Tutsi du Rwanda était, pour l’essentiel
achevé. Quelques milliers auraient survécu, et c’est eux que les soldats
de Turquoise achèveront de débusquer à la fin juin, pour les
livrer une dernière fois aux miliciens.
Il aura ainsi fallu seize ans pour que le tableau à peu près complet
du génocide se montre à nos yeux.

On y voit l’armée française du premier au dernier acte, de l’assassinat
d’Habyarimana au massacre des derniers Tutsi.
On comprend maintenant qu’à la mi-mai, le Pape, comme le
secrétaire général de l’ONU ou le ministre des affaires étrangères
français, soit les principaux artisans du crime, pouvaient crier à
l’unisson au génocide. Celui-ci achevé, on pouvait passer aux opérations
cosmétiques.

496 pages • 15 euros

A partir du 13 mai, dans toutes les bonnes librairies, ou en commande sur le site de Lady Long Solo.

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 10/05/2010

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