La Nuit rwandaise n°4

Bitin - 10/05/2010
Image:La Nuit rwandaise n°4

13 mai, jour du repentir
50 ans de néo-colonialisme

2010, 50 ans de néo-colonialisme.

La Nuit rwandaise, revue annuelle consacrée à l’implication
française dans le génocide des Tutsi, paraît cette année le
13 mai en mémoire des résistants de Bisesero, victimes
de la barbarie coloniale. Le 13 mai, jour du repentir.

De même les États français et américains atteignent des niveaux
d’endettement record, exactement à la mesure de leurs dépenses
militaires, également record, qui installent leurs économies au bord
de l’implosion. L’ambition planétaire de ces duettistes ne fait pas
mystère. Qu’ils osent par contre ruiner leurs peuples pour satisfaire
l’hystérie mégalomane de cette ambition, voilà qui n’est par contre
jamais évoqué. Comme si cela allait de soi. L’Angleterre figure en
troisième position au palmarès de cette folie budgétaire, ayant manifestement,
elle aussi, conservé quelque nostalgie de sa grande époque
impériale. On voit ainsi les peuples payer la note, très salée, de leurs
rêves idéologiques.

Tout le monde comprend que ces deux faces d’une même pièce, l’armée
et l’espace colonial qu’elle contrôle, sont nécessaires à la « grandeur
 » du pays. « Idéologie française », la « mission de la France »
habite l’inconscient collectif tout comme la conscience de nos élites
criminelles. Le messianisme discret de la « fille aînée de l’Église »
imprègne ce pays au moins depuis Louis XIV et son ambitieuse participation
à la Contre-Réforme catholique. En fait, dès François 1er,
on pouvait voir la furia francese déferler sur l’Italie. Et, remontant le
temps, on entend la terrible voix de Saint-Bernard, à Vezelay, appelant
aux croisades. Mais l’ensemble de ce dispositif va profondément
se renouveler en 1789, avec la Marseillaise et le début des guerres
révolutionnaires qui, d’emblée, permettaient de mobiliser le peuple y
compris pour des guerres laïques. Et c’est en 1793, dans le contexte
des guerres vendéennes, qu’apparaît pour la première fois la lutte
contre « l’ennemi intérieur » au degré du génocide :

– On ne chasse pas l’ennemi du dedans, dit Robespierre.

– Qu’est-ce donc qu’on fait ? demande naïvement Danton.

– On l’extermine, répond Robespierre.

Le grand comité de salut public inventait la science politique
moderne, et un demi-siècle plus tard Victor Hugo reconstituait les
minutes de débats dont on aimerait bien lire la version originelle.
Deux siècles après, en 1993, on dispose de compte-rendus de conseil
de ministres restreints, présidés par François Mitterrand et Édouard
Balladur, dont on a pu dire qu’ils constituent l’équivalent de la
conférence de Wansee – au cours de laquelle fut décidée l’extermination
des Juifs –, pour le génocide des Tutsi. On sait combien les soldats
de la Vème République envoyés au Rwanda, tout comme leurs
alliés rwandais, avaient présent à l’esprit le précédent du crime de
Robespierre, allant jusqu’à habiller le « peuple hutu » du mythe des
« sans-culottes ». Belle continuité.

Entre-temps, l’appel à faire couler le « sang impur » a souvent
résonné. Pour une histoire complète de cette idéologie du massacre,
il faut probablement remonter en amont, à l’extermination des
cathares, fondatrice de l’unité française telle qu’on la connaît encore.

La sauvagerie alors mise en oeuvre s’accompagnait d’un dispositif de
justification idéologique élaboré, avec la Sainte-Inquisition de Saint
Dominique, postulant la légitimité d’imposer sa foi par le fer et par le
feu. C’est dans la cathédrale de Béziers qu’on entendra pour la première
fois ce cri répété si fort au Rwanda : « Tuez-les tous ».
Véritable Nyamirambo des cathares, la cathédrale de Béziers sera
jonchée de milliers de cadavres exterminés à l’arme blanche.
Les disciples de Saint-Dominique exporteront en Amérique
cette furie idéologique, payée si cher par ceux qu’on appellera les
Indiens, les dépossédant y compris de leurs noms. Et c’est, comme on
sait, dans le même mouvement, que l’Europe fondera sa prospérité
sur la mise en esclavage des peuples d’Afrique pour exploiter ces terres
nouvellement « colonisées », sur la base de cette « vraie foi » qui
permettait de retirer jusqu’au droit de vivre aux Noirs comme aux
Indiens.

Les tribunaux révolutionnaires animés par Fouquier-Tinville,
ressusciteront les moeurs de ceux de l’Inquisition, substituant à la
proclamation chrétienne celle des idéaux républicains. Et ces nouveaux
idéaux iront jusqu’à justifier l’extermination du peuple même
duquel ils prétendent tirer leur légitimité, comme on a pu le voir en
juin 1848 et à la fin de la Commune de 1871. C’est cette même
République, fondée sur le massacre des Parisiens, qui partira à la
conquête de l’Afrique sans le moindre état d’âme.

Pour comprendre le Rwanda, il faut toutefois ausculter une autre
généalogie, celle du racisme, dont le point de départ s’identifie au
milieu du XIXème siècle, aux débuts de l’aventure coloniale
moderne. Dès 1830, la furie française s’abat sur l’Algérie, et même le
pape du libéralisme français, Alexis de Tocqueville, applaudira
devant la cruauté des conquérants sur laquelle il enquêtait en tant
que parlementaire. Mais c’est en chemin que le discours scientifique
du racisme moderne s’élaborera, porté par les efforts d’Ernest Renan
et surtout de son ami Arthur de Gobineau. L’antisémitisme chrétien
devenu socialiste, se renforcera alors de cette pensée racialiste. Et
c’est dans ce bric-à-brac idéologique qu’il se forgera un nom, désignant
les prétendus « sémites » qui seraient implantés jusque dans
la chrétienté. Armée de cette toute nouvelle science « anthropologique
 », la pensée occidentale s’offrira le luxe de hiérarchiser les
races en réservant le premier rang aux européens, non « sémites »,
qui trouvaient là le droit de dépouiller la terre entière.
Fort de cette idéologie sans frein, le colonialisme se déchaînera.
Les « razzias » expérimentées en Algérie traverseront l’Afrique de
part en part, comme la mémorable colonne Voulet-Chanoine. Et
l’asservissement des peuples se fera au prix de la plus effrayante inhumanité,
comme en témoignent les « fantômes du roi Léopold » dont
le martyre permettra au roi des belges de se tailler un empire personnel
au Congo. L’ensemble des puissances européennes rivaliseront
alors d’énergie pour s’emparer, en totale bonne conscience, des terres
les plus riches du monde.

Dans une récente présentation de textes de Renan [« De la
nation et du “peuple juif” chez Renan », éditions Les liens qui libèrent,
2009]
, Shlomo Sand explique comment le racisme français se retrouvera
pris à son propre piège avec la perte de l’Alsace et de la
Lorraine, « ethniquement » – linguistiquement surtout – plus « allemandes
 » que « françaises ». Dès lors, on assiste à une paradoxale
mutation de cette idéologie, renouant avec ses racines universalistes
pour justifier de « l’unité française ». Ce nouveau dispositif triomphera
dans l’anti-racisme de l’affaire Dreyfus. Et il reviendra à
l’Allemagne de garder, pour un temps, le temple du racisme.
En 1905, celle-ci ouvrira la procession funèbre du XXème siècle
avec le génocide des Herero, en Namibie, l’Afrique occidentale allemande.

Dix ans plus tard, en 1915, c’est encore à l’Allemagne que l’on
doit le génocide des Arméniens. On sait comment Hitler s’est inspiré
de ce précédent : non seulement la contribution allemande à ce premier grand génocide passera complètement inaperçue, mais le crime
lui-même pouvait sembler quasiment oublié vingt ans plus tard – ce qui
permettait au leader antisémite d’envisager la récidive avec sérenité.
Arrêtons-nous un instant sur la responsabilité allemande dans le
génocide arménien. L’armée turque était entraînée, formée, équipée,
par l’armée allemande, à un degré tout à fait comparable à… l’engagement
français au Rwanda. Les Allemands accompagneront les
Turcs tout le long du génocide. Et, de la même façon, on peut alors
dénoncer l’idéologie raciste pan-turque comme une importation allemande,
clonée du pan-germanisme. Exactement comme le suprématisme
hutu, importé au Rwanda dans un premier temps par l’église,
sera conduit par la « coopération » française jusqu’à la folie génocidaire.
Du lac de Van à Auschwitz, la pensée raciste aura fait plus qu’un
détour par l’Allemagne, pour revenir animer la patrie de Gobineau,
où elle se porte très bien, merci.

L’analyse de Renan proposée par Shlomo Sand a l’avantage de
permettre de saisir l’ambivalence de la conscience française.
Antisémite tout au long du XIXème siècle, elle deviendra philosémite
au XXème, ce qui ne l’empêchera pas de s’empresser de voter
des lois raciales en 1940, et d’organiser la déportation des Juifs, tout
en prétendant en sauver le plus possible.

C’est d’un véritable monstre idéologique qu’il s’agit, où le chef
de l’État fasciste – incriminable pour avoir été le banquier du génocide,
en tant que ministre du Budget, en 1994 – épouse une chanteuse
gauchiste. L’énumération serait longue de tous ces symptômes
ubuesques qui n’empêchent pas la France, loin de là, de prétendre au
magistère universel. Au contraire, c’est bien cette prétention qui
conduit ce pays jusqu’au-delà des frontières de l’innommable.
Il faudra bien en sortir, d’une manière ou d’une autre. Or il n’y
a pas trente-six chemins. Ou ce pays choisit de s’enfoncer dans le
crime, et de porter en guise de message universel celui du racisme
exterminateur – ce que proposent les chasseurs de sans-papiers qui
fondent leur carrière politique sur la haine de l’autre –, ou bien il faudra
en passer par la case du repentir – et s’engager sur la voie des
réparations.

496 pages • 15 euros

A partir du 13 mai, dans toutes les bonnes librairies, ou en commande sur le site de Lady Long Solo.

___

La Nuit rwandaise, un site réalisé par Bitin•fr

Bitin•fr - Création de sites et de contenus

Vous avez des idées ?
Nous avons les solutions : contactez-nous !

 10/05/2010

 En image

Articles référencés 

Proust, la suite
23/04/2024
Où étais-je du temps où la terre était plate
22/04/2024
Postures et impostures : le passing
20/04/2024